PRISE EN CHARGE DES MALADES D'HEMATOLOGIE

PRISE EN CHARGE DES MALADES D'HEMATOLOGIE

A l'attention des professionnels de santé
Propositions de la Société Française d’Hématologie (SFH) – 17 Mars 2020
 
COVID-19 et prise en charge des malades d’hématologie

L’objectif de ce document, issu de la réflexion « à chaud » de quelques membres du CA de la SFH face à l’épidémie COVID-19, est d’essayer de lister les questions (à défaut d’y répondre de façon formelle et bien documentée) que chacun se pose légitimement pour la prise en charge de nos patients d’hématologie. Il n’y est pas question de reprendre les mesures générales destinées à limiter l’extension de l’épidémie (mesures « barrières », télétravail et téléconsultations) qui sont déclinées sur le plan national et au sein de chacun de nos établissements. Ces recommandations sont susceptibles d’être évolutives et doivent être considérées selon le contexte des organisations locales.

Nos patients ne sont a priori pas plus à risque de contracter le virus mais une grande partie d’entre eux sont plus susceptibles de développer des formes graves de l’infection COVID-19 du fait de leur fragilité (déficit immunitaire au sens large, neutropénie, ...). Ceci conduit à leur conseiller de respecter scrupuleusement les mesures de bon sens destinées à limiter la propagation du virus et à limiter, autant que possible, leurs venues à l’hôpital pour des traitements ou des consultations (source de regroupement) qui pourraient être différés sans préjudice.
Les ressources hospitalières, qu’ils s’agissent des structures ou des personnels soignants, sont actuellement toutes mobilisées autour de la prise en charge des patients COVID-19 et les capacités d’accueil en réanimation de nos patients au décours de traitements intensifs risquent le cas échéant d’être très limitées. Il faut par ailleurs s’attendre à une moindre disponibilité en produits sanguins labiles (PSL) sans lesquels il est difficile de réaliser des traitements intensifs aplasiants (cf. message de l’EFS en date du 13 mars 2020).

■ Faut-il recommander (plus spécifiquement) à nos patients le port d’un masque chirurgical ?
Il n’y a pas à ce jour de recommandation spécifique qui justifie le port systématique d’un masque chirurgical par les patients « fragiles » pour leurs sorties à l’extérieur. Le port du masque chirurgical destiné à la protection des autres (et non sa propre protection) relève des recommandations faites à la population générale (sujets contacts, personnes suspectes en raison d’un syndrome fébrile avec toux). Lors de leurs venues à l’hôpital, en salle d’attente de consultation ou en hôpital de jour, le port du masque est en revanche recommandé. Il est indispensable pour les patients sévèrement immunodéprimés (malades allogreffés notamment).

■ Faut-il (peut-on) interrompre les traitements en cours ?
Selon les estimations, l’épidémie COVID-19 va durer plusieurs semaines et il est peu envisageable d’interrompre de façon prolongée une chimiothérapie ou une séquence de traitement dans des maladies curables ou tout du moins avec une espérance de vie prolongée (lymphomes, myélome) où la notion d’intensité de dose est importante.
Il peut, en revanche, en fonction du contexte local (priorités, flux de patients à gérer, ...) et des craintes légitimes des patients (vis-à-vis du virus COVID-19 ou de l’hémopathie), être envisagé le report voire la suppression d’une séquence d’entretien par anticorps anti-CD20 dans les lymphomes folliculaires ou à cellules du manteau en réponse. De même, les cures de réinduction VCR + corticoïdes (traitement d’entretien des LAL) peuvent être transitoirement omises en conservant le traitement continu par méthotrexate et purinethol (propositions du GRAALL).
Pour les patients sous thérapie ciblée orale (hémopathies lymphoïdes, LMC, LAL Ph+, NMP Ph-, LAM...), on ne dispose pas de données qui incitent à suspendre des traitements qui ont par ailleurs le plus souvent une action suspensive. Pour ces patients, les téléconsultations ou consultations téléphoniques sont recommandées.
De façon à limiter les venues à l’hôpital, les perfusions d’immunoglobulines intraveineuses (IgIV) pourraient, en fonction des possibilités locales, être administrées en ville plutôt qu’en hospitalisation de jour voire être remplacées par des immunoglobulines sous-cutanées. Ceci est également valable pour certaines chimiothérapies réalisables à domicile si les organisations sont déjà en place.

■ Faut-il (peut-on) différer l’initiation d’un nouveau traitement ou d’une nouvelle séquence thérapeutique ?
Dans la mesure du possible, et bien entendu en fonction de l’urgence à débuter une nouvelle séquence thérapeutique, il est préférable de surseoir de quelques semaines.
Ceci est aisément envisageable dans les hémopathies lymphoïdes « de faible malignité » et est déjà parfois fait dans l’attente de l’ouverture d’un essai thérapeutique.
Le report du traitement est difficilement concevable en revanche pour les hémopathies agressives (lymphomes de « haut grade », leucémies aiguës nouvellement diagnostiquées, myélome symptomatique, ...) pour lesquelles le retard à la mise en route initiale du traitement spécifique serait préjudiciable.
Il est plus difficile de se prononcer sur l’attitude à adopter pour les traitements intensifs réalisés en consolidation (leucémies aiguës en RC après induction, intensification avec autogreffe dans les myélomes ou les lymphomes voire greffes allogéniques de CSH).
Outre le risque potentiel lié au COVID-19 lui-même (traitement débuté en période asymptomatique d’incubation ou contamination à l’hôpital), il faut prendre en considération les difficultés attendues de transfert en réanimation (si nécessité) et d’approvisionnement en PSL.
Les risques d’un traitement réalisé dans des conditions de sécurité non optimales (aval en réanimation aléatoire et pénurie de PSL) doivent être mis en balance avec ceux d’un report de la séquence thérapeutique sur le contrôle de la maladie sous-jacente.
Il ne parait pas déraisonnable de reporter certaines autogreffes après discussion au cas par cas.
Il n’y a pour le moment pas de consigne de dépistage systématique du COVID-19 avant la réalisation de chimiothérapie à doses conventionnelles ou intensives (hors greffes de CSH), en l’absence de signes cliniques suspects.

■ Greffes allogéniques de CSH et autogreffes | recueil des CSH autologues ou allogéniques | cellules CAR-T
La Société Francophone de Greffe de Moelle et de Thérapie Cellulaire (SFGM-TC) en lien avec l’Agence de Biomédecine (ABM) ont proposé les 13 et 15 mars des recommandations disponibles sur le site de la SFGM-TC (https://www.sfgm-tc.com). Ces recommandations intègrent un dépistage du COVID-19 avant la mobilisation des CSH (début du G-CSF) pour les patients (autogreffe) et les donneurs (allogreffe) et avant le début du conditionnement mais elles incitent avant tout à s’interroger sur la possibilité d’un report de la greffe. S’y adjoignent aussi toutes les considérations utiles sur la congélation des greffons et leur acheminement alors que de nombreux pays ferment leurs frontières.
Pour les cellules CAR-T, le dépistage COVID-19 semble également logique avant le recueil des lymphocytes et leur administration doit être assujettie à l’assurance d’un accès aux soins de réanimation si besoin, alors que les lits vont être sollicités en priorité pour d’autres prises en charge.

■ Support transfusionnel des hémopathies
Le retentissement de l’épidémie COVID-19 sur les possibilités de collecte de sang voire les capacités de production des PSL par l’EFS va possiblement s’accompagner d’une diminution des stocks de CGR et d’une moindre disponibilité en concentrés plaquettaires. Cette considération doit être intégrée à la décision de maintien ou de report d’une chimiothérapie intensive. Elle doit aussi conduire à être encore plus vigilant (et économe) que d’accoutumée lors des prescriptions de PSL et à utiliser les facteurs de croissance hématopoïétiques quand cela est possible.
 
■ Poursuite de la recherche clinique et inclusions dans les essais
Pour les patients déjà inclus dans un essai thérapeutique, il parait déraisonnable de multiplier les venues à l’hôpital sous prétexte de « visites protocolaires » lorsqu’il n’y a pas d’évènement nouveau. Il devrait être possible de faire entendre cet argumentaire auprès des CRO et des firmes pharmaceutiques qui sont, de leur côté, toutes passées au télétravail.
Pour les patients potentiellement éligibles dans un essai, les inclusions devraient pouvoir être maintenues sous réserve de directives contraires des CRO et organismes promoteurs, de l’absence d’envois centralisés qui doivent traverser les frontières et de la disponibilité des structures de recherche locales. Les essais précoces, dont le bénéfice est hypothétique, devraient quant à eux être suspendus.
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Le 17 mars 2020
Sylvain Choquet, Alain Delmer, Loïc Garçon, Mathilde Hunault, Thierry Lamy, Frédéric Maloisel, Marc Maynadié, Anne-Sophie Michallet, Emmanuel Raffoux, Malgorzata Truchan-Graczyk
Pour le Conseil d’Administration de la SFH

 

Dernière mise à jour le 17 mars 2020